Les plus grandes réflexions ont souvent lieu à l’occasion d’actes de la vie apparemment banals. Lorsque j’ai créé la page Facebook de Yoga Shala par exemple, il fallait faire un choix entre différents qualificatifs : « Centre de fitness », « Espace bien-être »… Tous ces termes me laissant fortement perplexe, j’ai finalement opté pour « Communauté » qui me semblait correspondre le plus à l’orientation que je souhaitais donner : nous sommes simplement des personnes réunies par une pratique…certains ont étudié un peu plus et apprennent aux autres. Point. Je n’avais alors pas vraiment porté mon attention sur les différentes options de la page, jusqu’à ce qu’une élève poste un avis facebook à l’aide d’étoiles. L’avis était tout à fait positif, mais je me souviens avoir ressenti un profond malaise, une inadéquation. Je suis restée quelques instants en silence, sans trop savoir dans quelle direction aller. En d’autres mots, quel choix faire : le conserver, le supprimer, et surtout pour quelle(s) raison(s).
Tout choix, a des conséquences + ou – subtiles et visibles au démarrage, et engage forcément dans une direction et je me méfie toujours des gens qui banalisent ce qu’ils considèrent être des détails. Nous banalisons simplement quand nous ne souhaitons pas accueillir un élément dans notre champ de conscience car il nous fait réagir. En une image et avec du temps, les petites rivières donnent les grands fleuves. Je me souviens notamment d’un stage de cuisine macrobiotique où l’enseignant avait débarqué fièrement un matin un oignon à la main, et l’avait posé sur le plan de travail en disant : « allez, on se donne 10 minutes pour observer ! « . Sourires. C’est classiquement le genre de moments qui peuvent provoquer des réactions de surprise, de défense car court-circuitant l’intellect. Personnellement, j’adore. Nous avons donc tous pris 10 minutes pour mettre cet oignon en lumière comme jamais. Et pourquoi pas après tout ? Si le réel est un et que tout est lié, il suffit alors de tirer un fil de la pelote et tous les chemins finissent par mener à Rome. Il n’y a pas de détail et nous avons abouti à l’une des discussions les plus poussées qu’il m’ait été l’occasion d’entendre, bien au-delà de tout ergotage académique.
J’ai donc laissé infuser ce « problème » de l’avis facebook et peu de temps après, je parcourais tranquillement un livre de Tirumalai Krishnamacharya intitulé « Yoga Makaranda » acheté en Inde. Si je devais emporter 2 ouvrages de yoga sur une île déserte, il serait sans aucun doute du voyage. Le bonhomme était franchement solide. Au début de son livre, il fait un préambule très long dans lequel il insiste sur l’état d’esprit : « Le yoga et les pratiques spirituelles (…) ne peuvent pas être assimilés aushopping dans un supermarché. Les lecteurs doivent comprendre cette question importante. Nous devrions aussi nous demander si nous obtenons des bénéfices monétaires des heures que nous gaspillons sans nécessité tous les jours« . Je suis persuadée que si quelqu’un comme Krishnamacharya prend le temps de poser ces précisions sur des dizaines de pages, c’est qu’il avait clairement identifié un gros obstacle à une entrée appropriée dans une pratique du yoga. Il faut changer de regard.
Nous vivons actuellement dans une ère où nous sommes notés quotidiennement pendant toute notre scolarité, avec les problèmes d’image et d’estime de soi qui en découlent et que les « psys » accueillent au quotidien dans leurs cabinets. Les gens ne s’aiment pas, se dévalorisent en permanence, et s’identifient très intensément à ce système de notation : « je ne suis pas un bon élève, puis je ne suis pas un bon parent, un bon mari, un bon voisin… ». Les bons élèves pensent se distinguer en ayant atteint quelque chose, tandis que les moins bons se découragent. Puis vient le temps des concours pour certains, du monde du travail pour tous et de ses nombreuses évaluations qui nous mettent en compétition les uns avec les autres. Nous pouvons être mesurés sous à peu près toutes les coutures : tests de QI, de QE (quotient émotionnel), mensurations physiques…Si vous louez votre appartement, vous serez évalués par vos invités. Si vous êtes l’invité, vous aurez la possibilité de noter votre hôte. Vous pouvez noter votre loueur de voitures, votre vétérinaire, votre centre commercial…votre dîner (presque parfait ?). De l’évaluation (toujours subjective ne l’oublions pas) au sentiment de jugement et à la souffrance, il n’y a qu’un pas. La souffrance est l’appel à la liberté d’être.
Car la vie, la VRAIE, était là bien avant la mise en place de cette manière de penser très fragile qui nous rend dépendants émotionnellement des circonstances extérieures (bonne note / mauvaise note). Elle obéit à des lois d’un autre ordre, beaucoup plus fiables. Elle met en lien des personnes car une harmonie se crée entre elles. Dans cette façon d’envisager les choses, le système de notation n’a absolument aucun sens et l’échec n’existe pas. Ce qui est agréable et porteur pour l’un, sera vécu comme ennuyeux pour l’autre. Qui a raison ? Personne. Tout le monde. Et l’un peut devenir l’autre avec le temps qui passe, en d’autres mots, nous changeons en permanence nos évaluations à mesure que nous avançons. Aux débuts où j’enseignais, je demandais souvent aux personnes à la fin de leur cours d’essai : « comment ça c’est passé pour vous ? ». Accrochez-vous…fruit des conditionnements, 95% du temps la réponse était celle-ci : « je n’ai pas réussi à tout faire ». Je sortais de là dépitée ! Le progrès en yoga n’est absolument pas évalué par la posture finale. Répétez-vous cela comme un mantra, changez de logique, accueillez-vous tel(le) que vous êtes, au moins dans cet espace d’allègement qui vous est offert. Finalement, l’oignon avait raison depuis le départ, il s’agit d’enlever les couches !
PS: j’ai supprimé le système de notation de la page Facebook.
Leave a comment