Tenter d’enseigner le yoga en 2017, c’est se retrouver au carrefour entre des pratiques qui se prétendent elles-mêmes « traditionnelles »(dont la forme serait maintenue relativement similaire au fil des transmissions ?) et d’autres que certains taxent de déviances commerciales. Parmi elles, les cours de yoga en musique. J’ai cherché à me faire ma propre idée (=expérience directe) sur ce sujet plutôt que de céder à la tentation de colporter celles des autres.
Pour cela, il a fallu que « l’ashtangui » que je suis (cette manière de nommer est un raccourci artificiel qui ne veut rien dire du tout, si ce n’est que l’ashtanga yoga est ma pratique 90% du temps) se dépayse grandement. Du relatif silence des pratiques Mysore, je me suis immergée dans des cours de « vinyasa flow », de « yin yoga », j’en passe et des meilleures. J’y suis allée l’esprit le plus ouvert possible (vraiment). Voici le résultat de mes observations ethnologiques amateures :
1. Premier constat : que de matériel ! Dans tous ces cours j’ai été nettement frappée par le nombre de choses que chaque pratiquant apportait avec lui. Je ne parle pas de supports comme en yoga Iyengar, mais plutôt d’accessoires types bouteilles d’eau, gourdes, carnets, crayons, mouchoirs, colliers, bracelets, cristaux, pinces à cheveux…sans parler de l’habillement et de la coiffure souvent (très) recherchés. Il n’était pas rare que l’on renverse les affaires de son voisin durant la pratique. Tout ceci est-il nécessaire ou simplement encombrant ? Et si ce n’est pas nécessaire, alors quelle fonction remplit vraiment ce matériel pour ces personnes ?
2. Deuxième constat : que de bruit ! J’ai été vraiment saisie par le niveau sonore des papotages, piaillements, et de manière plus générale par le climat d’agitation qui régnait avant les cours, mais aussi dès qu’il s’agissait de travailler en duo, et immédiatement une fois le « Namaste » final donné. J’ai observé systématiquement des corps gigotant, des respirations courtes et haletantes non-conscientisées, un évitement à se regarder dans les yeux lors des temps d’échange, à s’écouter et à s’installer dans une certaine immobilité de manière détendue. Une nervosité pas spécialement joyeuse.
3. Constat 3 : que de bruit bis ! Malgré mon goût réel pour la musique et le choix relativement intéressant des playlists, après quelques cours, j’ai commencé à ressentir une frustration d’être empêchée de « rentrer vraiment en Soi » du fait d’une stimulation auditive incessante. Il était très difficile d’entendre le bruit de mon propre souffle et absolument impossible d’observer les pensées se présentant à ma conscience. Le niveau sonore était encore augmenté durant la relaxation, ce qui a généré (avec la répétition) un énervement allant jusqu’à la douleur. J’ai ressenti à ce moment-là le manque cruel du silence quand dans le même temps l’enseignante parlait incessamment de l’importance de s’ancrer dans…le silence ! Impossible de se laisser aller à être puisqu’on est pris par l’énergie d’une musique particulière qui ne nous laisse pas d’espace personnel. La présence de la musique oriente et impose un climat. L’expérience vécue entrait donc en contradiction avec le discours verbal qui l’accompagnait.
4. 4ème constat : on s’assoit quand ? Venant d’une pratique certes très en mouvement mais qui se termine toujours par un temps d’assise qui a été pensé exprès, j’ai ressenti le manque d’assise et de tout ce qui va avec : sensation de stabilité des deux os fessiers au sol, redressement de la colonne, travail énergétique des bandhas et du souffle…et la profondeur de l’expérience de présence et de centrage qui accompagne ce setting particulier. Si l’on ne fait pas au moins cette expérience dans son cours de yoga, quand la fait-on ?
5. Constat 5 : j’ai été étonnée de voir la vitesse à laquelle tous les participants se saisissaient de leurs téléphones, se remettaient dans une conversation quotidienne à la seconde même où la porte de la salle s’ouvrait. Comme si le cours n’avait en rien interrompu leur fonctionnement ordinaire. Absence de différence dans les attitudes, comportements entre l’avant et l’après-cours. Cela pose question : en quoi cette pratique a-t-elle introduit quelque chose d’inédit (même éphémère) ? Et si rien de neuf n’est introduit, alors à quoi sert la pratique ?
Si la pratique est suffisamment valable en elle-même pour amener la personne à apprivoiser son climat intérieur, alors pourquoi des cours de yoga en musique exactement ?
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