Hier, j’ai été prendre un cours de yoga collectif dans mon propre shala. Luxe ! Cela faisait des mois que je n’avais pas pratiqué en présence d’autres personnes, j’ai savouré chaque respiration comme jamais. Le reste du temps, je pratique seule et tel que me l’ont appris mes enseignants, chez moi ou au shala. Après quelques salutations guidées, on nous a laissé en faire une…tout seuls justement. Immédiatement, un sourire a envahi mon visage et cet article était déjà né, avant même que ma pensée consciente ne s’en saisisse. L’autre jour, je déjeunais avec une collègue psychologue qui débute l’ashtanga dans un autre centre et me disait : « je ne comprends pas l’intérêt d’aller dans un cours non-guidé« . Là encore, immédiatement…un IMMENSE sourire s’affiche sur mon visage (ou en tous cas je le vis comme ça de l’intérieur !). À chaque fois, en un éclair, je suis transportée. Souvent en Inde. Parfois en Europe. Je suis dans une salle de pratique Mysore (= auto-pratique d’ashtanga), et je suis très, très, très heureuse. D’une certaine manière, je n’ai pas vraiment de mots pour exprimer ce que je ressens de ces milliers de pratiques dans des salles Mysore et de toutes les expériences que j’y ai vécues. Tous ces apprentissages. Toutes ces transformations. Toutes ces observations. Et tout ça…en silence ! Mais je vais essayer, car c’est dans le top 3 des choses les plus précieuses que la vie m’ait apporté. Il ne se passe pas un jour sans que je remercie pour cette manière de pratiquer.
D. est une élève très régulière qui fréquente mes cours 2 à 3 fois par semaine depuis plus de 2 ans. Elle vient à presque tous les stages que j’organise et je ne saurais que trop la remercier de toute la confiance qu’elle m’accorde. Toujours positive, malgré les aléas de la vie (fatigue parfois, petite blessure cet été), elle est toujours au rendez-vous, c’est une vraie source d’inspiration. Elle fait partie d’un groupe de pratique « Ashtanga 1 » le mardi soir, un groupe particulièrement autonome. La semaine dernière, je les ai laissés pratiquer « Mysore », c’est-à-dire cours non-guidé. Pour les néophytes, ça ne veut pas dire que je m’en vais boire un coup pendant ce temps-là…au contraire, je suis autour, très concentrée et absorbée dans l’observation de ce que je ressens des besoins des pratiquants sur le moment. Ajustés et conseillés individuellement, nous chuchotons et allons beaucoup plus en profondeur dans leurs besoins individuels que dans un cours guidé. Je la revois en fin de semaine et D. me dit avec enthousiasme : « C’est incroyable la qualité de concentration de ces séances« . Ok, là vous vous en doutez…grand sourire à nouveau !
Pour quelqu’un qui n’aurait jamais vécu cette expérience au moins à quelques reprises, il est assez difficile de décrire l’atmosphère d’une classe Mysore. C’est dans la texture de l’air ambiant. Les bruits du matin (le cas échéant), le lever progressif du soleil à mesure que chacun enchaîne sa séquence, la concentration, les bruits de respiration surtout, de sauts de temps en temps, la sueur générée (entre autres) par la concentration importante sur le souffle. Ce silence, qui loin d’être vide, est au contraire empli de vitalité et en même temps de détente. Pour moi, cette simplicité apparente, c’est comme le jus de la vie. Simplicité apparente car derrière une classe Mysore aboutie, il y a souvent des années de travail avec chaque élève. Travail de mémorisation de la séquence et positionnement corporel clair permettant de créer de l’espace dans le corps. Compréhension fine de comment la respiration initie le mouvement. Travail de mémorisation du vinyasa (compte des postures). Développement de la sensibilité des régions concernées par les bandhas. Ce sont réellement des années de travail avec chacun, pas étonnant que les pratiques Mysore ne soient pas si répandues que ça, l’enseignant doit sacrément avoir la foi car ce n’est pas ça qui va payer ses factures !
Soyons honnêtes, cette manière de pratiquer opère un tri entre les élèves. L’élève doit être guidé par l’intention forte d’apprendre – l’intention transforme – et doit rester ouvert et actif tout le long du chemin. Il doit lâcher très rapidement tout positionnement passif pour entrer dans l’apprentissage. En retour, sa motivation rencontrera l’attention bienveillante de l’enseignant qui essaiera de le guider du mieux possible sur son chemin. De la régularité découlera la réalisation pour l’élève que cette pratique vise à l’indépendance, à l’autonomie. Elle nous pousse à grandir. Je pense qu’un bon test pour savoir ce que vous savez « vraiment » en yoga consiste en ce petit exercice : déroulez votre tapis chez vous seul pendant une semaine, et voyez ce que vous savez vraiment faire. Le pratiquant Mysore fera ça les doigts dans le nez, il connaît son programme.
À l’heure où tout existe, par exemple des cours de yoga en musique (qui sont probablement très agréables au passage !), la pratique Mysore se distingue par son apparent dénuement qui nous ramène en fait à l’essentiel. Au centre. Il m’est arrivé d’avoir la vision nette de la puissance de cette simplicité et de réaliser de tout mon être ce que cela crée sur le long terme chez le pratiquant : une force interne considérable. Ou plutôt la pleine réalisation que cette force est déjà à l’intérieur de lui/d’elle. Nous pensons avoir besoin de tout un tas de choses pour vivre…mais beaucoup sont complètement inutiles si l’on développe la conscience accrue de Soi. Autant de doudous que l’on s’invente. Revoyons le film : nous sommes sur nos tapis en train de respirer & suer. Comme des animaux que nous sommes. Hormis les vêtements de yoga, nous sommes nus comme des vers, on ne peut pas se cacher derrière une musique, un costume social ou un groupe. Nous sommes simplement nous et cette simplicité agit comme un révélateur de notre potentiel interne : persévérance, humour, imagination, proprioception, oubli d’une posture, conscience corporelle, doutes, motivation, lâcher-prise, énervement, acceptation, questionnement, découragement, détente…les pratiques Mysore sont TOUT sauf vides. Elles sont riches de nous et la prise de conscience de notre richesse interne ne s’achète pas. Elle se pratique et devient progressivement source d’une joie indicible mais palpable dans le ressenti. Car elle aussi était déjà présente à l’intérieur de nous. Depuis le début.
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