EXTRA-ordinaire

          Je remarque que parfois, de la même manière que l’on dilapide notre énergie en allant toujours plus vite pour ne rien faire, l’on emploie les mots de manière très inconsciente. Dans le sens : est-ce que je mesure vraiment ce que je suis en train de dire ? En circulant de temps en temps sur les réseaux sociaux, je note une profusion de termes suremployés au quotidien dans le monde du yoga : « incroyable, extraordinaire, fantastique, merveilleux ». En particulier en anglais : « amaaaazing, aaawwesome, terrrrific, fantaaastic, gooorgeous ». Je crois que lorsque l’on suremploie quelque chose de manière systématique, que l’on s’y accroche donc, cela masque un vide d’être et de consistance. Celui qui est présent, pleinement, n’a pas besoin de s’exhiber sans cesse. Une amitié sincère ou une relation amoureuse nourrissante se passent très bien de selfies. Dans ce monde d’images (que l’on confond de manière insidieuse & insconsciente avec l’expérience réelle), on peut même se laisser saisir par une forme de pression à trouver l’extraordinaire partout (ou à penser que les autres ont des vies meilleures), puis à le montrer immédiatement au monde sous forme de statut facebook : « Regardez-moi, je suis digne d’intérêt, moi aussi je fais des choses qui sortent de l’ordinaire ». Tel l’enfant qui a obtenu une bonne note à l’école. Nous faisons tous cela à un moment ou à un autre, sous une forme ou une autre.

           Ne vous méprenez pas ici, il ne s’agit pas d’encourager une forme de négativité qui ne constituerait que le pendant opposé à ce que nous venons d’aborder. Simplement une réflexion sur la mesure à donner à toute chose. Car oui, l’EXTRA-ordinaire est bien une expérience des plus réelles. Mon expérience du yoga et ma rencontre avec quelques enseignants très expérimentés, me font constater que l’EXTRA-ordinaire est même à la portée de tous, par une implication et une pratique très régulières. De la même manière que la beauté est dans l’œil de celui qui regarde, l’EXTRA-ordinaire est présent en chacun, à chaque instant. Quand une sortie temporaire du fonctionnement ordinaire advient, il y a là un aspect poétique, une forme de justice et de beauté dans l’existence de la vie elle-même. Et je trouve que pour le coup, ça c’est vraiment AMAZING ! Retrouver la confiance fondamentale en soi, en ses possibilités et en celles des autres.

           Alors que j’écris ces lignes en Inde, un ventilateur bruyant tourne autour de ma tête tandis que John Scott est assis à la table voisine avec son équipe. Le temps semble suspendu. John est probablement pour beaucoup dans l’écriture de cet article bien qu’il ne le sache pas : il a touché mon cœur. Dans une poterie devant moi, une fleur rose s’apparentant à une marguerite flotte sans bruit sur l’eau. Lors d’une première pratique ce matin, John Scott nous a transmis une motivation et un enthousiasme qui m’ont ensuite portée pour le reste de la journée. Un élan. Après un long vol en avion, la pratique n’a pas été du gâteau, j’ai même cru arrêter au beau milieu de la première série, ce qui m’arrive très rarement. J’ai ressenti mon corps si lourd et ai sué de tous les pores de ma peau. Ma vue en était même brouillée. Je ne savais plus ni qui j’étais, ni où, ni quand (je ne prétends pas avoir répondu depuis à la première question ^^).

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           Mais…j’ai continué. Pourquoi ça ? La manière dont John nous a accompagnés, par ses instructions très précises, sa voix qui bien qu’empreinte de bienveillance, ne nous laissait pas d’autre choix que de donner le meilleur de nous-mêmes, son humour dans les moments plus difficiles…voilà ce qui m’a permis d’aller jusqu’au bout. La pratique est souvent très mentale et émotionnelle avant que d’être physique. La leçon que je retiens dans ma chair de cette expérience matinale, c’est vraiment que l’on ne peut se dépasser, s’ouvrir, s’épanouir, que dans un bain fondamentalement positif, aimant. Car voici un message de cet enseignant si enthousiaste après plusieurs décennies de pratique et de ce qu’il a lui-même reçu de Patthabi Jois : aller à la rencontre de l’EXTRA-ordinaire logé à l’intérieur de chacun d’entre nous. Parfois, il faut chercher profond sous l’ordinaire…mais c’est là, quelque part. Forcément. La pratique du yoga consiste à façonner un diamant à partir d’une pierre grossière, mal taillée, abîmée. Un pratiquant avancé est un pratiquant raffiné dans sa relation à lui-même et au monde. Délicat, subtil, présent, fort.

          Dans son livre « Le pouvoir bénéfique des mains », Barbara Ann Brennan dit elle aussi : « qu’aimeriez-vous faire plus que tout au monde dans votre vie ? Découvrez comment vous vous entravez vous-même. Nettoyez ces blocages. Balayez vos tensions. Faites ce que vous avez envie de faire. » Si le commentaire de votre mental à la lecture de ces lignes est du type « c’est naïf », je vous encourage à prendre tout de suite ça très au sérieux car il y a probablement beaucoup à réparer à l’intérieur. Cela revient à ne plus être en contact avec sa propre partie EXTRA-ordinaire fondamentale et fondatrice, celle avec laquelle l’enfant est pourtant très en relation lui, et avec cette conscience : il n’y a pas de limites à ce que l’on peut réaliser, notre potentiel est illimité. Pour libérer ce potentiel et cette créativité, il va falloir faire preuve de beaucoup de pratique (travail), d’écoute, de discipline, de détermination, reconnaître que l’on s’est trompé de temps en temps, que l’on ne sait plus et demander de l’aide parfois, se remettre en question souvent. Mais au tournant, sortir de l’ordinaire, c’est vivre sans regret. On ne peut plus faire machine arrière. John Scott dit : « Le subtil peut comprendre le grossier, mais le grossier ne peut pas comprendre le subtil puisqu’il n’y a pas encore touché« . Il s’agit d’aller en profondeur à la rencontre de soi et des beautés intrinsèques que cette partie de nous recèle. Il n’y a rien à rajouter, nous sommes nés complets et nos possibilités sont infinies.

jolie présentation colorée

           Cet article est dédié à tous les élèves qui fréquentent mes cours de yoga et qui m’ont choisie pour les guider un peu dans le raffinement du diamant qu’ils recèlent. C’est un honneur.

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