Aujourd’hui, j’ai le plaisir d’interviewer Vanessa Brouillet, fondatrice de l’école de yoga ashtanga YAMA à Marseille & Aix. Ensemble, nous avons parlé de l’ashtanga, des pratiques Mysore, de la vie…je vous en souhaite une excellente lecture !
- Bonjour Vanessa, depuis quand pratiques-tu le yoga en général et l’ashtanga en particulier ?
Je pratique le yoga depuis 2000 et j’ai commencé par l’ashtanga. J’avais déjà reçu une initiation à la méditation vers l’âge de 11/12 ans, qui était venue répondre à un certain nombre de mes questions. Puis j’ai pratiqué le Qi Gong dès l’âge de 14 ans. Donc l’ashtanga est venu s’inscrire dans une ligne de pratique déjà existante. Quand j’ai commencé l’ashtanga, je me suis sentie immédiatement à la maison, je me suis dit « oulala, ça c’est pour moi« .
- Depuis combien de temps enseignes-tu l’ashtanga ? Tu as aujourd’hui une grande école, sur deux sites (Marseille, Aix). Comment se sont passés les débuts ?
J’ai commencé en 2003 en créant un groupe de pratiquants tous les matins à 7h sur les conseils de Pierre Baronian, un enseignant de Lyon. J’avais un autre emploi que j’ai conservé jusqu’à 2007. Pendant longtemps, mon objectif n’était pas d’être prof de yoga, mais de pratiquer. À Marseille, il n’y avait pas de salle de yoga et donc j’ai voulu créer ce groupe pour pouvoir faire venir des enseignants. Tout de suite, j’ai organisé des stages car l’idée était de nourrir ma propre pratique. Je ne voulais pas être prof, mais peu à peu, j’ai réalisé que je prenais des responsabilités d’enseignante. Étant initialement une personne très portée sur l’intellect, j’avais peu de notions de mouvement et me former est alors apparu comme indispensable. J’ai donc fait partie de la première promotion de l’EFAY1 à Paris en 2004.
- À Marseille à l’époque, il n’y avait donc pas de cours Mysore2 ?
Ni même d’ashtanga, ni de yoga dynamique. Ni à Aix. Aujourd’hui on en trouve des dizaines.
- Est-ce que tu as eu un travail d’information et d’explication à fournir pour faire connaître cette manière de pratiquer le yoga (style Mysore), c’est-à-dire en cours non-guidé ?
Rapidement au début, j’ai abandonné les cours Mysore. J’ai simplement ouvert la salle le matin gratuitement et je pratiquais avec le groupe. C’était plutôt un groupe de pratique en fait. Et j’ai donné 2 cours dirigés dans la semaine. Globalement, ça a été un énorme travail d’explication. Déjà le fait de se lever tôt, de faire quelque chose avant d’aller travailler, était complètement incongru. Les gens ne comprenaient pas le principe. Il a fallu inviter des profs, faire des stages. À un moment donné j’ai eu l’idée de faire des semaines entières de pratiques Mysore, où les personnes étaient obligées de venir les 5 jours. Car tant que les gens n’avaient pas expérimenté le processus consistant à trouver une routine intérieure, ils restaient perdus et les cours Mysore à fréquence hebdomadaire ne faisaient pas sens. Depuis l’année dernière, dans les 2 villes Aix et Marseille, j’ai lancé les semaines « Full Mysore ». Tous les cours – une cinquantaine au total – se transforment alors en cours Mysore, tout est gratuit et illimité. De cette manière, les personnes peuvent faire l’expérience du processus, sans nécessairement avoir à se lever à 6h tous les matins.
- Cette manière de faire ne va pas forcément avec la culture de la région, et peut-être même avec la culture française en général. Y auraient-ils des obstacles plus particulièrement « français », par rapport à l’organisation du travail par exemple ?
Ça a été – et c’est encore – très dur. Cette année, je n’enseigne plus qu’un seul cours. C’est un cours Mysore et il y a encore peu de pratiquants. En cours Mysore, nous sommes toujours 2 enseignant(e)s. Au-delà de 6 élèves, si on veut être vraiment attentif aux élèves, on est vite submergé(e)s, surtout s’il y a des débutants. Dans les obstacles liés à la société, une des choses que j’entends souvent est : « dans ma vie, je dois tout assumer, les enfants, les courses, le travail, l’école…alors quand je viens au yoga, je veux me laisser porter« . De la même manière, des élèves me disent souvent vouloir être « corrigé(e)s« . On lutte sur la question du vocabulaire en disant qu’il n’y a pas de corrections, il n’y a que des propositions, nous sommes là pour soutenir un processus. L’idée est de trouver sa liberté dans sa propre responsabilité. D’aller contre l’idée répandue que si tu prends ta responsabilité au yoga, cela fera trop. On ne peut pas faire de yoga sans prendre sa responsabilité. Il faut se le dire et tu dois l’écrire dans ton article : ça va à l’encontre de tous les conditionnements qui ont été les-nôtres depuis l’enfance. Le yoga est une véritable voie de liberté et parfois effectivement, ça grince. C’est cela qui le distingue. Mon travail d’enseignante de yoga est d’amener chacun à reconnecter avec sa propre puissance.
Ce que je trouve très beau en Mysore, c’est la question du cadre, c’est-à-dire qu’on apprend son propre cadre, qu’on s’offre ensuite à soi-même. Et ce n’est que dans son propre cadre qu’on peut trouver son potentiel. Le cadre crée la liberté. Je trouve aussi que l’apprentissage mental, la précision du vinyasa nous fait travailler à tous les étages de l’être. Physiquement, intellectuellement, et émotionnellement avec le souffle. Ça fait partie d’un apprentissage qui vient reconnaître toutes nos compétences. L’enseignement peut être extrêmement individualisé, c’est idéal. Une fois que l’élève a bien compris l’espace dans lequel il évolue, alors on peut lui faire des propositions (versus des « corrections »).
- Est-ce que tu notes dans le temps des différences dans le processus de transformation entre les personnes qui pratiquent « Mysore » et celles qui prennent part uniquement à des cours guidés ?
C’est phénoménal. Le processus du yoga qui est en œuvre est décuplé chez les personnes qui pratiquent « Mysore ». Après les objectifs de chacun sont différents et c’est à respecter. Venir au yoga pour se détendre, dans quelque chose de ludique, est tout à fait louable et entendable. Ce n’est pas l’objectif principal du yoga, mais pourquoi pas. Chacun chemine avec ça.
- On voyage nécessairement dans différents pays quand on apprend le yoga, n’est-ce pas ? Il y a des endroits où la pratique Mysore est une évidence depuis des décennies (États-Unis, Angleterre, pays nordiques, Russie, Japon…), est-ce que tu remarques des particularités au niveau culturel en France ?
Nous sommes très à la traîne, par rapport aux pays du Nord, ou aux pays anglo-saxons. Je ne saurais pas te dire, mais il est certain qu’il y a un marqueur culturel important. Plus on va vers le sud et plus cette mise en place est compliquée. Plus on est loin des villes et plus c’est compliqué aussi.
- Aurais-tu une idée, une piste pour l’enseignant qui veut développer ça par chez lui ?
La question de la fréquence est très importante : la quotidienneté et la question du temps long. Favoriser un processus d’engagement des élèves , quotidiennement sur un petit temps, puis sur un temps plus long. Il faut énormément de compétences pour enseigner le Mysore. C’est beaucoup plus difficile que d’enseigner un cours guidé. Il faut connaître ses élèves. Il ne faut pas compter son temps. Pour moi, l’enseignement du yoga, c’est aussi quand l’enseignant se met en retrait, qu’il/elle arrive à s’effacer. C’est vraiment très beau.
- Que dirais-tu à une personne qui n’aurait jamais entendu parlé de la pratique ashtanga style Mysore ?
Honnêtement ? Le seul argument qui tienne vraiment debout, c’est de venir essayer. C’est une histoire d’expérience. La première fois peut être très déroutante. Je n’aurais pas envie de convaincre sur quoi que ce soit. En plus, je ne suis pas sûre que ça corresponde à tout le monde. L’intérêt est de questionner la personne. Où en est-elle de sa pratique ? Qu’est-ce qu’elle vient chercher ? Comment souhaite-t-elle être accompagné(e) ? Comment a-t-elle envie d’évoluer sur le parcours qu’elle s’offre ?
- J’ai le sentiment qu’à partir du moment où l’enseignant(e) est pleinement « branché(e) » sur sa pratique, au fil des mois, des années, des stages, des retraites, des pratiques seul(e) le matin, des pratiques avec des enfants, des pratiques avec ou sans sommeil…, j’ai le sentiment que l’enseignant(e) doit faire son chemin et que le reste suit (c’est-à-dire les élèves). Même s’il faut acquérir des éléments de formation pour enseigner car c’est un immense métier.
On ne transmet que ce qu’on a expérimenté et ce qu’on incarne.
- Comment amènes-tu « du yoga » dans ton monde professionnel ? J’ai l’impression que quelque chose de différent est en train de naître actuellement, notamment du fait de la montée de l’entreprenariat féminin.
Complètement. Le monde est en train de changer. Je pense que le yoga de part son développement actuel, porté par des gens compétents qui sont travailleurs indépendants, fait sens. Il y a de quoi inventer, créer, pour que les valeurs du yoga soient présentes dans l’organisation du travail. Et c’est une responsabilité que nous avons d’incarner ça. J’ai fait beaucoup de formations allant dans cette direction : PNL3, un peu de CNV4, du management en intelligence collective avec des notions d’analyse transactionnelle…Une fois que ces outils sont implantés, les choses suivent leur cours, elles vivent d’elles-mêmes.
- Merci beaucoup Vanessa.
Merci à toi.
Propos recueillis par Flora Trigo.
1L’École Française des Ailes du Yoga, à Paris :http://www.samasthitistudio.net/node/146.
2Le cours style Mysore est une pratique d’ashtanga où chacun réalise sa séquence dans la même pièce mais de manière autonome : à son rythme et selon son niveau d’expérience. L’enseignant apporte une guidance individuelle à chacun. C’est ainsi que Sri K. Patthabi Jois transmettait cette méthode dans son Shala de Mysore en Inde.
3Programmation Neuro-Linguistique.
4Communication Non-Violente.
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