Y-a-t’il un autre événement, mis à part la grossesse et l’accouchement, qui bouleverse aussi vite et profondément un corps ? Probablement certaines maladies très graves et accidents, autrement je ne vois pas. Cet article est écrit depuis le corps d’une personne qui malgré les apparences, se remet très lentement de ce tsunami. La vague est passée et m’a laissée en vrac, complètement décentrée et même avec une pointe de solitude par rapport à tout ça. Comment ferais-je sans la pratique du yoga alors que j’y arrive à peine avec ? Je ne sais pas. Ce qui est certain, c’est qu’il faut absolument revenir au centre, à tous les niveaux.
Pendant des années, j’entendais répéter dans les « intensives » d’ashtanga que toute la pratique posturale de Yoga Chikitsa – souvent nommée à tort « Première série » – consistait à tourner autour de son centre. Je disais « oui, oui, évidemment« , mais je n’en avais rien intégré aussi profondément. Un tsunami plus tard, je le vis de l’intérieur après m’en être éloignée plus que jamais.
Qu’est-ce que « le centre » ? Au niveau physique/géométrique 3D, c’est le milieu : entre la gauche et la droite, l’avant et l’arrière, le haut et le bas. Au niveau corporel, ce n’est donc pas la colonne vertébrale, mais plutôt la partie centrale du corps, dans ses profondeurs, reliant le haut et le bas du corps. Le centre nous rapproche finalement de la pratique de Uddyana et Mula Bandha, points d’attention fondamentaux du yoga. Dans toutes les postures qui s’égrainent, on s’attache à pivoter autour de ce centre en utilisant les parties plus périphériques d’une manière respectueuse (épaules, cage thoracique, genoux…) et en créant un espace satisfaisant entre les tissus et structures. Tout ce qui est de l’ordre de « en forçant ça va passer », « en répétant plus souvent ça va passer » etc., n’est pas du yoga. L’espace corporel nous ramène à notre matérialité et la pensée magique n’y a pas sa place. S’il n’y a pas d’espace, il faut chercher comment en créer et donc il est nécessaire d’étudier précisément et de pratiquer.
La grossesse amène le bassin en antéversion de manière très prononcée du fait du poids du ventre, d’autant plus si la femme était déjà cambrée avant. Cela induit un raccourcissement conséquent de la colonne vertébrale et un premier décentrage de taille. La femme enceinte est en dehors d’elle-même, exposée. Si ce déséquilibre est temporaire et la pratique régulière durant la grossesse, on limitera les potentielles douleurs lombaires à suivre. Mais le ventre sort bien vers l’avant, et les épaules et le haut du dos s’enroulent souvent pour compenser et nous voilà avec une belle posture voûtée associée à une respiration plus courte. Le diaphragme est compressé par la place prise par le bébé et la femme commence à trouver qu’elle s’étouffe fréquemment.
Dans le chapitre 2 de la Hatha Yoga Pradipikâ, il est écrit que : « Lorsque le souffle est agité, l’esprit est agité« . La manière dont on respire est un miroir de notre état mental…et vice versa. Le souffle de la future maman se fait plus court et chaotique (et la vie lui demande pourtant des efforts colossaux à ce moment-là…c’est toujours là qu’il faut déménager, vous avez remarqué ?) et sa concentration…fragile. La jeune maman est plus nerveuse etmanque d’air. Elle n’est plus tout à fait elle-même. Elle est sortie de sa ligne.
Si l’on considère que le centre est physiquement la partie la plus stable et émotionnellement la partie la plus calme de Soi, on comprend rapidement que la future maman est dans un état de vulnérabilité certes « normale », mais vulnérabilité quand même. Là-dessus…advient l’accouchement et là…je ne sais pas par où commencer. Les expériences sont variées, du coup je citerais simplement l’extraordinaire sage-femme qui a accompagné ce – très long – moment avec moi : « c’est du sport extrême, mais on n’a pas de médaille« . Je confirme. Là-dessus s’enchaînent l’allaitement pour celles qui le pratiquent, et le port du bébé sans cesse. Je n’aurais jamais pensé que la maternité puisse être aussi physique dans le post-partum. On porte, on porte, on porte. Le bébé, le cosy, le sac à langer, la poussette. Combien de kilos au quotidien ? Ce serait intéressant de calculer. On porte de manière asymétrique, on dort en position semi-assise voûtée, j’en passe et des meilleures. Bilan ? En vrac. On le fait avec amour certes, mais ça doit rester temporaire. Ce n’est bon ni pour la mère, ni pour l’enfant, ni pour le couple. Ce n’est pas écologique, c’est-à-dire bon pour toutes les parties. À un moment donné, dès que possible, j’ai repratiqué Yoga Chikitsa. Même un tiers. Et là, waou. Le corps sait. Le corps a tout mémorisé, surtout ce qui est juste et bien installé, et il sait y revenir. La journée est différente. Les sensations mentales et respiratoires associées au « centre » sont au-delà des mots. Qu’on y est bien et qu’on peut être un meilleur parent si l’on est sans douleur, plus calme et plus lucide.
Le vécu du centre n’est ni sexy, ni romantique, ni nostalgique, ni rock n’roll. Mais on peut compter sur lui, quelques soient les circonstances extérieures. Alors merci yoga, tu es bien le meilleur cadeau de l’Inde à l’humanité.
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