Le terme « prof de yoga » regroupe un ensemble d’individus exerçant leur activité de manière extrêmement hétérogène. Si hétérogène que parfois, leurs vies professionnelles n’ont vraiment rien de similaire les unes avec les autres. Des 25h de cours/semaine dispensés par certains, à 2h seulement pour d’autres. De ceux qui en « vivent » à ceux qui font ça tout aussi sincèrement, mais plutôt comme un loisir. De ceux qui mobilisent leur corps de manière très intense durant les cours, à ceux qui n’utilisent que la guidance verbale. Des très jeunes, aux retraités. Des responsables de structures qui en plus de leurs cours s’occupent…absolument de tout, aux intervenants salariés qui n’ont qu’à penser au contenu de leurs séances. De ceux que l’on voit dans tous les magazines, à ceux que l’on ne verra – volontairement ou involontairement – jamais. Des directeurs/trices de formation…à d’autres qui pourraient en proposer mais décident de transmettre de manière moins cadrée et, du coup, bien moins rémunératrice. De ceux qui proposent une présence sur Internet (photos, vidéos, articles, podcasts), à ceux que l’on rencontrera uniquement par le bouche à oreilles. Un paysage extrêmement varié donc, et autant de trajectoires où chacun tente de trouver son équilibre, de l’inventer sans cesse, parfois de survivre, tout simplement.
Le sujet du burn-out chez les profs de yoga a même fait récemment l’objet d’une journée de post-formation à l’IDYT (Institut de Yogathérapie) de Paris. Je n’ai hélas pas pu y assister, mais en off, les uns et les autres font des confidences, mêmes des enseignants très médiatisés qui donneraient l’impression de ne pas rencontrer de difficultés à allier enseignement du yoga, sécurité financière et équilibre personnel. Pour beaucoup, l’usure guette très régulièrement et c’est un travail incessant que de rester créatif pour l’éviter. Fatigue physique (notamment pour ceux qui se déplacent beaucoup, horaires de repas souvent décalés), fatigue morale (précarité du statut), perte d’enthousiasme (pas assez de temps pour se former ou pour leur propre pratique), difficultés d’organisation (vie de famille). Se pose alors la question de la longévité d’une telle activité & je pousserais même le bouchon jusqu’à dire : se pose la question de savoir s’il est pertinent d’envisager cette activité comme n’importe quel autre métier…ou pas justement. Et si le problème ne démarre pas par là finalement.
En avril 2016, Isabelle Morin-Larbey faisait paraître dans « Les Cahiers du Yoga » une traduction partielle d’un article du New York Magazine où il ressortait que la manière occidentale et moderne de vouloir enseigner le yoga aux USA, en plus de provoquer une dilution de la qualité de la pratique, menait beaucoup d’enseignants même expérimentés à la dépression. Puis dans le meilleur des cas, à une reconversion : « La journaliste souligne le fonctionnement de certains studios, de sites internet, qui, mal digérés, mal compris, produit ce genre de dégâts. Et c’est grave. L’enseignant est utilisé au maximum, puis « jeté » lorsqu’il n’a plus la force d’assurer cette course folle. » Ce statut précaire d’enseignant de yoga rend les individus extrêmement vulnérables vis-à-vis des dirigeants de « studios » qui n’ont parfois aucune expérience managériale sérieuse. Pour un peu que s’en mêle chez les dits dirigeants un trouble de la personnalité, cela peut alors s’avérer extrêmement destructeur.
Des magazines moins spécialisés se mettent eux aussi à évoquer le phénomène. C’est le cas de cet article de Madame le Figaro datant d’octobre 2015 : « Devenir prof de yoga : du rêve à la désillusion ». Témoignages à l’appui, on pointe une nouvelle fois la difficulté à dégager de l’activité d’enseignement du yoga un revenu suffisant, et la tentation de trouver une solution en s’alliant au monde du marketing et de la publicité comme cela est pratiqué depuis longtemps aux USA : « Devenir une marque pour exister ». À ce stade, je ne sais pas vous, mais moi j’ai l’impression de m’être un peu perdue en chemin…
La difficulté à articuler harmonieusement enseignement du yoga et équilibre personnel, ne vient-elle pas du fait de vouloirfaire entrer cette activité dans un moule qui ne lui correspond pas…dès le départ ? Avec des attentes qui ne vont pas ensemble ? Dans un article très commenté de la revue en ligne « Yoganova magazine », l’un des commentateurs parle d’envisager l’enseignement du yoga comme un sacerdoce, plutôt que comme une profession/carrière. Les années passant, j’ai de plus en plus tendance à rejoindre cette idée. Actuellement, je partage l’ashtanga yoga de la manière qui a été la plus productive pour moi, c’est-à-dire en étant guidée dans le détail (alignement postural, compte du vinyasa, ajustements individualisés qui prennent du temps), tout en maintenant la dynamique énergétique. Pour cette raison, j’ai assez à faire avec 8 élèves par cours, d’autant que les personnes ne pratiquent pas quotidiennement et donc l’intégration est relativement lente et la conscience corporelle bien souvent précaire. Si je n’avais pas créé les conditions nécessaires par ailleurs, le choix de céder à la pression financière se serait présenté. Bon pour être honnête, il s’est quand même présenté. Plusieurs opportunités se sont alors profilées : donner encore plus de cours (risque : épuisement + perte d’enthousiasme), ou doubler voire tripler le nombre d’élèves par cours (risque : perte de qualité et d’accompagnement sérieux des personnes), diluer la méthode dans un « yoga bien-être, yoga ceci, yoga cela » (risque : conflit avec mes propres croyances), augmenter les tarifs (risque : le yoga inaccessible à certains budgets). Aucune de ces pistes n’ayant satisfait mon être, je n’y ai pas cédé. C’est un choix individuel et engagé, dans un contexte particulier, à titre d’illustration. En échange de cela, je bénéficie d’une grande liberté dans les cours que je propose, et ma priorité est restée ma propre pratique et mon chemin d’apprentissage qui sont sources d’un épanouissement au-delà des mots. Et vous, comment faites-vous ?
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