Le perfectionnisme est un des « virus » que l’on trouve dans l’air ambiant. Je l’observe si récurrent à vrai dire, que j’ai envie de m’arrêter dessus aujourd’hui. Derrière lui, une culture, une enfance, une éducation…bref de très nombreux conditionnements. Ce sont des empreintes tenaces. Je remarque qu’il est vraiment source de beaucoup de souffrances que l’on se crée…pour rien au final, dans le sens où ça ne mène nulle part. Hormis peut-être à une estime de soi délabrée et à une inhibition à passer à l’action. Au passage, saviez-vous qu’ « en souffrance » veut également dire « en attente » (pour une lettre par exemple) ? Il y a donc quelque chose à entendre, qui attend. Un véritable travail intérieur de transformation – comme celui que propose le yoga – ne consiste bien souvent qu’à lâcher la plupart des cadres qui nous ont pourtant façonnés à un moment donné. Dont celui-ci. Mais le passé…c’est le passé et être libre, c’est être libre du passé. Quand je dis « lâcher », j’entends prendre conscience de l’inutilité d’une chose et avoir la vision nette d’à quel point ce perfectionnisme n’est pas ce que nous sommes. C’est une construction que l’on se fait. Il n’existe que pour celui qui l’endosse. Si vous lisez cet article, c’est sûrement que ça vous parle déjà un peu non ?
L’année de mes 18 ans, je me décarcassais pour passer mon permis de conduire. Les circonstances n’étaient pas faciles car je devais prendre le train depuis la grande ville où j’étudiais, pour me rendre dans mon village suivre mes leçons de conduite. Il n’y avait pas beaucoup d’horaires et je donnais des cours particuliers pour avoir un peu de monnaie pour payer mes billets de train. Aller-retour, ça me prenait parfois 4 heures pour 1 heure de conduite. Arrivée à la 6ème leçon, j’avais fini par monter sur un rond-point, juste en face de l’auto-école ! Perchés là-haut, entre deux massifs de fleurs, le moniteur avait alors stoppé le véhicule et m’avait regardé d’un air las. Entre la 1ère et la 6ème leçon, mes aptitudes n’avaient fait qu’empirer. J’assistais à ça impuissante et « la lassitude en moi reconnaissait la lassitude en lui », autre déclinaison du « Namaste » ! Il m’annonça que probablement il faudrait une 40aine d’heures avant de tenter de passer l’examen, soit le double de l’ordinaire. Je me sentais éminemment nulle & coupable, d’autant que j’avais toujours eu des facilités dans les autres domaines (école, sport). C’était décourageant. Et rageant tout court. Déployer autant d’efforts pour si peu de résultats. Je m’en voulais à mort, je n’avais pas l’habitude de pédaler dans la semoule à ce point. N’ayons pas peur des mots, j’ai pris le train retour en me répétant : « tu n’es vraiment qu’une grosse m**** ».
Quelques jours ont passé, et comme il fallait bien y retourner…Ce jour-là, je me souviens d’une sensation très diffuse & désagréable dans l’ensemble de mon corps. L’envie de ne plus être dans ce corps. De m’enfuir. Puis de la peur. De la honte. L’envie de ne plus être moi, de baisser le regard, d’être ailleurs. J’ai quand même fait ma leçon. J’étais tellement prise par le ressenti de ces sensations, que je devais être plus détendue vis-à-vis de la route et du jugement présumé du moniteur. Et il y a eu un shift, la leçon s’est très bien passée. Après cette expérience étonnamment positive, les 2 leçons suivantes se sont si bien déroulées qu’il m’a annoncé que je n’aurais finalement pas besoin de plus de 20 heures. J’ai eu mon permis du premier coup après ça !
Bien des années ont passé et me voilà en train d’enseigner le yoga. Comme on ne peut pas séparer l’aspect physique de la pratique de sa psychologie, tout cela est sans cesse à l’œuvre sur le tapis. Un jour je propose à une élève assidue de pratiquer l’équilibre sur la tête. Je l’ai observée depuis quelques mois, je pense que c’est le bon moment. Tandis que sa tête oscille de gauche à droite, les yeux écarquillés (traduction évidente = non je ne peux pas), j’affiche mon plus beau sourire. Moi j’y crois très fort ! Je lui apprends une technique et je l’aide. Je l’invite à s’entraîner à la maison en lui donnant quelques indications. Quelques temps après et comme nous avions sympathisé, nous buvons un café en terrasse. Et elle me dit : « tu sais j’ai essayé la posture sur la tête chez moi et je me suis rendue compte d’un truc. Comme je n’y arrive pas tout de suite, et bien je m’énerve et je ne veux plus essayer après« . Je souris à l’évocation de ces extrêmes. Tout ou rien. Je réponds : « Imagine si on valorisait plus le fait d’essayer encore et encore, plutôt que le résultat final, est-ce que tu t’énerverais ? « .
Je n’ai rien inventé, c’est le yoga qui m’a appris ça. Une pratique de yoga digne de ce nom est forcément exigeante. Dans le sens où elle demande de la régularité, de la concentration, une vraie implication. Un engagement sincère…non pas à réussir quoi que ce soit, mais à être là. Être là est déjà ÉNORME. Remplir son tapis de sa présence, de son intention, de ses tentatives. Tenter un équilibre, encore et encore. Souffler. Reprendre. Tenter de lier sa posture du lotus, encore et encore. Non mes genoux ne sont pas prêts, ok avec ça. Venir au cours de yoga, mais pleurer car on est épuisé(e), et repartir se coucher après avoir été réconforté(e) par son/sa prof. Le contrat est rempli car j’ai essayé, donc j’ai appris quelque chose sur moi. Sur le long terme, ce sont tous ces essais infructueux qui finissent par donner les plus beaux fruits, les élèves qui font le chemin d’acceptation le plus admirable. Ils lâchent sur leur ego et apprennent à s’accepter tels qu’ils sont. Pleinement. Sans se décourager mais tout en restant actifs.
Accepter comme dit Arnaud Desjardins, ce n’est pas accepter tout et n’importe quoi. C’est accepter une réalité bordélique qui n’est pas comme on voudrait et cesser de se raconter des histoires. C’est surfer la vague de la réalité en arrêtant de se dire que si la vague avait été plus large, moins haute, on aurait mieux surfé. Arrêter de se dire que quand on sera mince et sans mal de dos, alors on se mettra au yoga. Arrêter de se dire que quand on sera riche, on voyagera. Car ce qui n’arrive pas tout de suite…n’arrive en fait jamais. En d’autres mots, « pas si, pas quand…mais maintenant ». Trouver les moyens, même modestes. Ici. Maintenant.
Lâchez le perfectionnisme….pour passer à l’action. Chaque posture n’est qu’un prétexte à apprendre. Même si les pieds sont très (très) loin de toucher la tête. C’est bien pour ça que j’ai choisi cette photo. Au boulot !
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