Il y a quelques années de cela dans un petit shala du Pays Basque en bord d’Océan Atlantique, un ashtangui australien très connu donnait un stage à un petit groupe de pratiquants réunis pour l’occasion. J’ai pris le peu d’économies qui me restaient alors pour traverser la France avec ma toile de tente sur le dos et y participer. Quand on a envie d’apprendre, peu d’obstacles résistent longtempssur le chemin, nuit blanche dans le train et mal de dos de campeur inclus. On est prêts à beaucoup de sacrifices et ça tombait bien car, prête, je l’étais depuis toujours.
Le stage démarra à l’aube, classes Mysore le matin et ateliers l’après-midi. Classique. Je n’étais pas très solide dans ma pratique, cela faisait un an 1/2 que j’avais décidé de me dédier uniquement à l’ashtanga yoga 4/5 fois par semaine. Je démarrais quelque chose, j’essayais de me donner une chance, sans garantie de quoi que ce soit. La vie quoi.
Cet enseignant a la particularité d’accompagner les temps de relaxation à la guitare et au chant d’une manière très douce. En général en ashtanga, c’est un temps de silence simple. Allongée sur mon tapis, ma première réaction à l’époque, complètement automatique, fut celle-ci : « punaise c’est mou ». Du plus bel effet n’est-ce pas ! Voilà ce que mon état interne du moment générait comme pensée. Il me fallait du plus vite, du plus fort…bref je manquais cruellement de détente et de douceur. Envers moi-même et probablement envers les autres. Je ne pouvais pas juste…être là, et être bien. Et surtout…cet état latent de tension qui m’était devenu si familier qu’il me semblait parfaitement normal ! Je faisais simplement partie de ces millions de fous qui s’ignorent et courent partout pour n’aller nulle part…
Le stage se poursuit et à l’issue d’une après-midi, alors que je marche vers la sortie de la salle, je me retrouve face à face avec cet enseignant et nous faisons brièvement connaissance. Son regard bleu est si fixe et intense et sa voix si calme…qu’une réaction fugitive me traverse : « il est si calme que ça m’énerve ! ». J’ai le sentiment que l’océan me regarde et me renvoie en miroir ma nervosité. C’est si fort que j’abrège l’échange alors qu’il avait la curiosité de s’intéresser à mon petit parcours d’ashtangui de manière sincère et aimable. Je rentre « m’enfermer » dans ma toile de tente – si je puis dire – pour laisser décanter cette situation. Comment est-ce possible de trouver le calme et la gentillesse insupportables à ce point-là ?!
Pensive, je repense au fait que les arts martiaux ou le yoga parlent souvent de ce calme profond qui émane d’une personne, de sa voix, de sa gestuelle, de sa vibration globale. C’est le résultat d’une expérience de vie solide et réfléchie (miroir toujours…) et d’une pratique bien assise (dans le Soi). Et non de quelqu’un qui tente désespérément de se contrôler alors qu’il/elle est en fait sur le point d’exploser. C’est un aspect sur lequel il est impossible de tricher. Je comprends à ce moment-là que pour toucher cette expérience du doigt et la pérenniser, j’ai encore beaucoup à brûler sur le tapis de yoga. Bien loin d’un espace-temps dédié à une gymnastique hygiénique, nous mettons notresystème nerveux au travail et à l’épreuve pour aller chercher qui l’on est, derrière nos réactions automatiques. Qui suis-je quand je n’en peux plus ? Qui suis-je quand c’est difficile ? Qu’est-ce que je choisis à ce moment-là ? Tous ces enchaînements, cette respiration, cette concentration…il faut au moins tout ça pour lâcher les tensions du passé et laisser émerger, de lui-même, le calme de l’océan…à l’intérieur de soi.
Merci pour cette leçon Mark Robberds. En plus d’être ashtangui et musicien, tu n’es pas surfeur par hasard.
Leave a comment