Jamais je n’aurais imaginé il y a moins de 10 ans encore, écrire un article traitant des troubles de l’attention sur le site d’une salle de yoga. Et encore moins que je puisse être l’initiatrice de ladite salle. D’ailleurs, à l’époque, je ne savais même pas ce qu’était le yoga. Aussi incroyable que cela puisse paraître aujourd’hui avec toutes les parutions dans les magazines – je n’entrerai pas dans le débat de savoir ce qui est du yoga ou non – je n’avais aucune représentation concrète de ce à quoi se référer exactement ce champ. J’avais bien entraperçu ici et là quelques postures de la chandelle et il est vrai que des ouvrages deKrishnamurti trônaient dans la bibliothèque familiale et que je mangeais « macrobiotique » depuis toujours. Il en reste que d’un point de vue intellectuel et conscient, je ne faisais pas les liens entre tout ça. En revanche, l’intuition me faisait pressentir tout le vaste du sujet. Quant à la quête ardente d’un sentiment de paix, elle était présente aussi loin que remontent mes souvenirs.
Mais peu importe, revenons-en à mon premier cours de yoga. Je suis arrivée là menée par ma curiosité habituelle pour ce que je ne connaissais pas. Raide comme un bout d’acier, respiration courte, j’ai transpiré à grosses gouttes, rien de neuf jusque-là. En revanche, j’ai été saisie par l’atmopshère du cours qui semblait dire : « Voilà, on est là, on essaie, on pratique, on se concentre. Et…c’est tout. » De manière assez inconsciente au démarrage, quelque chose là-dedans m’a touchée. C’est tout…vraiment ? Mon mental acharné cherchait à comprendre : mais que fait-on exactement ? On se met comme ça et puis quoi ? Quel est l’objectif ? Où va-t-on comme ça ? À ce point de l’expérience, beaucoup passent à autre chose, habitué(e)s à vivre avec des objectifs et autres projections dans le futur (ou retours vers le futur ?). Comme je ne comprenais RIEN à ce que je faisais (satané mental…) mais que les sensations étaient bonnes (expérience réelle), j’ai continué. L’aspect physique du yoga me plaisait mais il y avait un moment qui piquait ma curiosité. Nous terminions souvent par une visualisation, un exercice de concentration qui était un peu la cerise sur le gâteau de la séance. J’en sortais à chaque fois légèrement transformée. Je ne comprenais rien, j’expérimentais, et j’adorais ça.
Dans la pratique de l’ashtanga vinyasa yoga, un des outils essentiels sont les drishtis, ces points de fixations du regard.D’après les retours d’expérience que j’ai, les gens les intègrent souvent sur le tard, voire jamais ! C’est dommage car c’est un levier très intéressant. À chaque posture correspond un point de fixation du regard qui contribue à ramener l’attention à l’intérieur de soi. Au lieu de dire « concentrez-vous » – ok, mais comment ? – il est question de quelque chose de beaucoup plus concret : « fixez le pouce, fixez le bout du nez « etc. Quand on y pense, c’est assez futé car cela permet une évaluation objective de savoir si on le fait ou pas. La concentration apparaît presque sans effort, comme un effet secondaire désirable.
Une fois la pratique régulière installée, advient ce dialogue interne incessant, cet aller-retour entre le mental qui papillonne à vitesse grand V – d’ailleurs lisez-vous cet article en pleine conscience ? – et le ressenti réel. J’aime l’ashtanga car c’est concret. Le mental s’entraîne à revenir à ce qui est, ici et maintenant. Pas de fioritures, pas d’imagination, mais juste la pleine présence de l’instant présent, vérifiable à tout instant. La régularité dans la pratique donne des effets magnifiques sur la capacité à juste être présent. À voir ce qui est et à agir en fonction. À se détendre lorsqu’on ne peut rien changer dans l’immédiat. À diriger son énergie vers ce qui est utile. Tout l’intérêt réside ensuite dans le fait que notre esprit recalibré chaque matin, demeure sans effort particulier, plus présent le reste de la journée. C’est quand même pas rien. Comment accomplir quoi que ce soit si l’on est incapable de se concentrer ?
Je suis très fréquemment observatrice depuis ce temps de mon propre manque de concentration et de mes propres « troubles » de l’attention.Avec les sollicitations relationnelles & les outils modernes (smartphones, tablettes…), être quelqu’un de concentré en 2016 devient un travail à part entière, une lutte parfois, un engagement c’est certain. En cela, la pratique du yoga ashtanga est transformatrice. Quand les gens viennent à moi avec ce yoga à la bouche, ils ont fréquemment vu des vidéos acrobatiques ou des photos de postures etc. J’étais pareille, bien loin de me douter qu’avant tout progrès physique, le yoga allait changer complètement la capacité de mon mental à se centrer sur une chose et une seule. Je peux dire aujourd’hui que la qualité de ma pratique quotidienne dépend essentiellement de ma concentration, (Dhāraṇā en sanskrit) ainsi que de ma capacité à me détendre, en toutes postures.
Hélas bien souvent en Occident, amalgame est fait entre « concentrez-vous » et « stressez-vous ». Cela me donne envie de vous écrire un article sur les troubles de la tension tiens. A bientôt du coup…
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